FROGGY'S DELIGHT

Le choix du morceau d'ouverture d'un album paraît essentiel. Non pas que tout amateur averti se contente de sa seule écoute mais parce qu'il donne souvent la tonalité musicale de l'album.

En l'espèce, avec ces Fugues d'Innocent X, un avertissement liminaire s'impose : allergique au chant récitatif, passez le premier morceau au rythme anorexique, "Aux marches du palais", reprise d'une chanson populaire, qui, malgré la douce voix de France Cartigny, déprimerait un décérébré sous prozac.

L'album contient néanmoins 3 autres morceaux du même esprit dont "Comédie" sur lequel Anne-James Chaton déclame, à la manière de Kat Onoma, la litanie du quotidien de la caissière de supérette scandé par le prix des articles jusqu'à l'emballement, et "Valade Martial" dans lequel une déclaration d'amour se glisse parmi l'énumération des identifications administratives qui déshumanise l'individu sociétal contemporain

Cela étant, ce sont incontestablement les morceaux instrumentaux qui retiendront notre attention car ils attestent d'une patte qui induit la réminiscence avec Slint, la référence ultime du post-rock.

C'est avec "Insomnie", qui s'ouvre sur des bidouillages électro et des croassements de ptérodactyles, que, point de doute, on entre dans le post-rock instrumental dont les boucles sonores nous transporte dans ces univers chers à Labradford, Mogwaï et quelques autres d'outre-Atlantique avec deux guitares (Pierre Fruchard et Cédric Leboeuf) et une batterie (Etienne Bonhomme).

Ces univers où les nappes sonores ondulent à la surface des eaux du royaume des morts sans s'y arrêter et nous entraîne vers le Nord, le morceau le plus émouvant sans doute par sa composition exemplaire qui démontre ce qu'on peut faire avec deux guitares aux riffs acérés et une rythmique impeccable.

Sur "Praxis Du Vide", au parasite électro, succède la batterie impérieuse, têtue et entêtante, qui rallie les guitares insolentes et "Outremonde" qui démarre sur un rock puissant et noisy pour tendre vers l'apaisement du break minimaliste et s'épanouir à nouveau de manière mogwaienne.

L'album se clôt sur une "Fugue" apaisée de facture presque classique qui ne peut que donner envie de réécouter l'album.

MM

Paris (La Boule Noire) 17 mars 2005


Avec son second opus Fugues, Innocent X, trio formé par Pierre Fruchard, Cédric Leboeuf et Etienne Bonhomme, se hisse indénialement dans les cimes du post-rock tel qu'il a été initié par le fabuleux Slint. Les fidèles se sont rassemblés à la Boule Noire pour leur concert sans première partie. Innocent X investit la scène en souriant, calmement, avec sérénité. Ce qui se passe ensuite ne saurait être objectivement relaté.

Il s'agit plus d'un voyage musical et sensoriel qu'un concert au sens classique du terme d'autant qu'avec Innocent X une fois la première note émise, les instruments ne se tairont qu'une heure plus tard, les morceaux s'enchaînant les uns aux autres dans une continuité et une progression sans heurts.
Regarder les musiciens jouer nuit presque à l'écoute. Ils sont très concentrés comme complètement absorbés par leur propre partition, comme en état de création permanente et autiste tout en étant attentifs les uns aux autres dans une sorte de communion subliminale. Bidouillages électro, boucles sonores venues de nulle part, guitares entêtantes, batterie impérieuse, nous emportent et ne nous lâcheront pas.

C'est un plaisir que d'entendre ces compositions musicales complexes et maîtrisées, ces jeux de guitares apocalyptiques qui ne cèdent pas le pas à une batterie vigilante et obstinée? La musique inonde la salle, belle, planante puis l'envahit en maelstrom sonore qui emporte tout sur son passage qui ravit tant l'esprit que les sens. Une explosion sonore aux confins du rêve et de la corporalité.

Ensuite France Cartigny rejoint le groupe. Elle chantera deux morceaux dont "Aux marches du palais" un peu étiré en longueur pour laquelle elle nous gratifiera de quelques pas de danse sur le "lon la". Malgré les demandes réitérées du public, Innocent X ne jouera pas le fameux "Valade Martial"...

Innocent X...L'excellence...

MM